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Testeur de Contenu
un roman
de Michael Atamanov
Le Sombre Herboriste
Volume 1
Série LitRPG
« ALORS,
AVEZ-VOUS déjà joué à
Boundless Realm ? » me demanda le recruteur, entamant l’entretien par
la question tant redoutée.
Dans l'offre
d’emploi, l’une des conditions à remplir était sans équivoque : « Ne
doit jamais avoir joué à ce jeu. » Si j'avais répondu « oui »,
il y a fort à parier que cela aurait entrainé immédiatement la fin de la
rencontre.
« Et avez-vous
déjà joué à un autre jeu en ligne connu, hum… Timothy ? »
demanda-t-il, découvrant enfin mon nom sur l’écran qui lui faisait face. Sa
longue journée touchait probablement à sa fin. Il était très certainement
fatigué.
« Oui bien
sûr. Je suis un gamer, pardon un joueur, depuis près de six ans, maintenant.
J’ai pas mal pratiqué Kingdoms of Sword and Magic. »
« Un Gamer… »
marmonna-t-il avec une moue de dédain. Cet argot ne semblait pas être trop à
son goût. Il fronça les sourcils, perplexe. « Et ça se passait comment
dans le jeu de notre concurrent ? Avez-vous accompli quoi que ce soit de
notable, Timothy ? »
Devais-je lui dire la
vérité ? Où était-ce une erreur de trop en dire à un parfait
étranger ? Malgré mes réticences, je décidais de me lancer :
« Ces cinq
dernières années, ce fut ma seule source de revenus. Je n'ai certes pas gagné
assez pour m’offrir un yacht ou une villa sur une île tropicale, mais c’était largement
assez pour vivre simplement et financer mes études. »
« “Certes pas
assez pour un yacht”, c’est à dire ? » s’enquit-il. Contre toute
attente, il se mit à glousser. « Les meilleurs joueurs de Boundless
Realm gagnent assez pour s’offrir un croiseur. Mais à ma connaissance, dans
KSM, retirer de l'argent virtuel était contraire au règlement… Pouvez-vous m'en
dire plus, Timothy ? »
Biiiiip. Mauvaise
réponse. Probablement. J’avais perdu une occasion de me taire. Était-ce la
fin ? Allais-je être congédié ? Finalement non, il n’insista pas. À
l’inverse, il posa même une question radicalement différente :
« Alors
pourquoi avoir abandonné KSM ? Et sans me laisser le temps de répondre, il
continua. Bon, je crois qu’on peut zapper la question. C’est évident. Le nombre
de joueurs actifs a drastiquement chuté. De plus en plus de gens l’ont
abandonné au profit de Boundless Realm. Après tout, c'est plus ludique
et largement plus réaliste. L'argent a dû tout simplement s’évaporer. »
Je me contentais
d'acquiescer en silence, n’ayant rien de plus à ajouter. Auparavant, notre clan
pouvait réunir de cinq à sept-mille joueurs pour lancer des raids JcJ en
territoire ennemi ou terrasser des boss surpuissants. Mais cette époque était
révolue. Pas plus tard qu’hier, réunir quinze joueurs pour prendre d’assaut un
château adverse relevait de la performance. Et en plus on avait dans le groupe,
trois noobs inscrits depuis à peine une semaine. Mais on avait… quand même
conquis le château ! Le seul défenseur survivant du camp adverse semblait être
soulagé de se délester d’un tel fardeau. Il nous avait souhaité bonne chance et
avait même tenté de nous revendre son compte vu qu'il s’apprêtait à partir pour
rejoindre Boundless Realm.
Ce fut l’une des
raisons qui me poussèrent à quitter ce bateau à la dérive avant que la
compétition ne le coule définitivement. La grosse catastrophe : tout l’argent
investi dans le jeu disparaissait aussi…. À vrai dire, j'avais hérité de
l'appartement familial après la mort de mes parents, mais sa vente m’avait
servi à rembourser les frais médicaux de ma sœur. Il m’était resté tout de même
une somme plus que décente, que j’avais décidé d'investir dans une propriété
virtuelle non loin d’une capitale de Kingdom. À l’époque, Kingdoms of
Sword and Magic était en plein essor. C’était un excellent investissement.
Qui aurait pu
prévoir que, deux semaines après mon investissement, une entreprise jusqu’alors
totalement méconnue, Boundless Realms, allait ouvrir ses propres serveurs ? Et qui
aurait misé sur le fait que l’entreprise prendrait une telle ampleur et gagnerait
autant d’argent en l’espace de trois ans, attirant des centaines de millions de
joueurs du monde entier dans leur univers d’un réalisme à couper le
souffle ? À ce moment-là, la valeur de ma propriété virtuelle dans Kingdoms
avait dégringolé, tant et si bien que le temps consacré à la bâtir ne se
justifiait plus.
L'employé des RH
examina mon CV quelques minutes, puis leva les yeux vers moi pour m'annoncer,
le sourire aux lèvres :
« Paladin
humain niveau trois cent dix, archer elfe noir niveau deux cent soixante-dix,
mage demi-elfe niveau cent quatre-vingt-dix… Pas mal, pas mal du tout. Au fait,
Timothy, savez-vous que, dans Boundless Realm, un joueur est limité à un
seul personnage, et qu’on ne peut ni le modifier ni le supprimer ? C'est
le meilleur moyen de veiller à ce que nos joueurs s’approprient et se
familiarisent avec leurs personnages tel que nous le souhaitons. De cette
façon, l’univers du jeu devient leur réalité. »
Je me contentais
d'acquiescer en silence. Comment aurais-je pu l’ignorer… ? Cela avait été
ma plus grande source d’inquiétude lorsque j’avais vu pour la première fois une
offre d’emploi : testeur de trames dans le jeu en ligne Boundless Realm.
Le hic, c'est que j'avais déjà essayé de jouer à Boundless Realm.
Mais cela faisait déjà plus de trois ans. À l'époque, le jeu était encore en
bêta ouverte et avait l’air « mal fini » à mon goût. Il n'y avait ni tutoriel,
ni guide de jeu, ni conseil in-game. Dans la zone où j'avais commencé, tout
était un peu trop grossier, trop inabouti. Ni « horizons captivants et
radieux » ni « couchers de soleil envoûtants et réalistes, »
contrairement à ce qu’affirment leurs trailers actuels. À l'époque, Boundless
Realm n’avait rien de tout cela.
Et puis ma partie
n’avait duré que sept minutes. J’avais créé un barbare niveau un muni d'une
hache à deux mains, façon mister T et en quittant ma zone de départ, à
proximité du village, j’avais dû affronter une horde de chauves-souris vampires
d’un niveau avoisinant les soixante-dix. Une seconde plus tard, j'étais mort. Et
en plus on m’imposait de patienter une heure avant de pouvoir respawner.
J’avais alors agonis d’injures ce jeu déséquilibré et mal foutu avant de le désinstaller.
Mais là, j'espérais très très fort que cette brève expérience ne nuirait pas à
ma candidature de « testeur de trames dans un jeu vidéo, »
formulation officielle de l'offre d’emploi à laquelle je postulais.
« Que dire,
Timothy ? Vous avez une solide expérience dans le domaine du jeu vidéo,
aucun déséquilibre physique ou psychique. Rien ne s’oppose à ce que nous vous
engagions au sein de notre entreprise, » déclara l’homme qui me sourit
encore et me tendit une tablette sur laquelle s’affichait un questionnaire. Il
m’invita à prendre place dans la petite salle attenante, remplir le
questionnaire, puis attendre le début de la réunion préparatoire.
Je pénétrais dans
la pièce, sortis mon portable et, mimant un selfie devant le poster d’un dragon
bleu des mers, j’envoyais un message :
« J’ai réussi
l’entretien. »
Aussi sec, mon
téléphone vibra faiblement. Réponse :
« Pas trop
vite, ils t’ont offert quoi ? Je vais me renseigner dans les
forums. »
Ensuite, je m’assis
et je me mis à cocher des cases sur la tablette. Le questionnaire abordait des
tas de sujets concernant ma santé, ma vie de famille, mon casier judiciaire et
mes mauvaises habitudes de vie. La seconde moitié du questionnaire changeait
radicalement de ton et servait visiblement à définir le personnage le plus en
adéquation avec ma personnalité.
Non loin de moi,
d’autres candidats martelaient leurs tablettes. La plupart d’entre eux, hommes
et femmes, avaient plus ou moins le même âge que moi, à l’exception d’une
poignée de personnes plus âgées, dont quelques séniors. Il me fallut peu de
temps pour me faire une idée générale de l’ambiance professionnelle qui m’attendait.
J’y voyais des étudiants expulsés de l’université pour absentéisme ou probablement
recalés aux examens, des employés de bureau licenciés, des courtiers sur la
mauvaise pente, des no-life aux abois et des retraités plus ou moins désespérés
qui tentaient leur chance ici, faute de mieux... Globalement, j’étais entouré
de paumés qui n’avaient pas su se faire une place dans le monde réel. La
classe.
Je ne me
considérais pas moi-même comme un paumé, mais il fallait admettre que j’étais
naturellement assorti au groupe. J’avais déjà vingt-deux ans, mais j’étais sans
emploi, sans petite amie, sans argent, et sans maison à moi. La totale. Du
coup, il n’était pas facile de différencier leurs profils du mien à première
vue.
Bon, je n’étais pas
totalement stupide. J’étais diplômé en chimie fondamentale. Sauf que ça sert
assez peu… J’étais capable de tenir une conversation, je n’étais pas
particulièrement moche, et j’étais assez doué en sport. En outre, j’avais bien
eu plusieurs occasions de flirter avec la gent féminine, mais étrangement,
toutes mes copines avaient fini par me larguer pour un autre. Manque de temps
disaient-elles. Souvent elles s’évaporaient quand elles découvraient que je
m’occupais de ma sœur handicapée. Plus exactement paraplégique. C’est dommage,
mais jamais je n’aurais accepté de troquer ma sœur préférée – et unique -
contre une relation.
Ma sœur Valéria
avait onze ans au moment de l’accident. Mon père conduisait une voiture volante
qui percuta de plein fouet celle d’un voleur en fuite. Le choc et la chute
consécutive sur trente mètres tuèrent ma mère et mon père sur le coup. Ma sœur,
elle, perdit l’usage de ses deux jambes, tout en étant couverte de lacérations
et fracturée de partout ! L’enquête des forces de l’ordre déclara mon père
non responsable du crash mais ce n’était pas vraiment un réconfort. Il m’avait
fallu vendre notre appartement en centre-ville pour rembourser les traitements
de Val et couvrir d’autres dépenses. J’avais tout dépensé ou presque pour lui
offrir les meilleurs traitements. Pour qu’elle ait une chance de remarcher
grâce à des implants. Mais c’était expérimental et non couvert par l’assurance…
et cela n’avait pas marché.
Pour le bien de ma
sœur, j’avais fait une croix sur mes parents, mais aussi mes amis, les
psychologues, et le reste du monde. Le plus dur à encaisser, ce fut juste après
l’accident. Valeria souffrait de douleurs chroniques, au point de perdre toute
raison de vivre. À plusieurs reprises, elle m’avait supplié de lui administrer
des somnifères pour qu’elle ne se réveille pas. Je fis mon possible pour lui
donner une raison de vivre et la dissuader. Jour après jour elle sœur retrouva
goût à la vie. Nous avions tenté différentes approches pour lui remonter le
moral, mais les balades étaient ce qu’il y avait de plus efficace. Nous
résidions à côté d’un grand parc où il faisait toujours bon se promener. Hélas,
peu après, nous fûmes contraints de quitter le centre de la métropole, faute de
moyens, pour nous installer en périphérie. Très vite, Val rechigna à poursuivre
nos promenades. Ma sœur ne supportait plus les moqueries et les railleries des
enfants du voisinage. Ils la traitaient d’infirme, allant même jusqu’à lui
lancer des pierres. La coupe était pleine.
Puis elle trouva un
nouveau moyen de s’évader. Les MMORPG virtuels étaient un sas de décompression
où elle pouvait à nouveau contempler la beauté des paysages. Ce nouveau
passe-temps n’était en revanche pas très lucratif. À vrai dire, c’était plutôt
l’inverse. La situation s’empira les derniers mois, quand l’univers du jeu que
nous avions choisi des années auparavant, Kingdoms of Sword and Magic,
manifesta les premiers signes de déclin... Donc soit j’acceptais un des rare
emploi dans mon domaine et je laissais ma sœur seule toute la journée soit je
m’arrangeais pour rester avec elle. Elle n’avait déjà pas tellement de
relations sociales vu qu’elle suivait les cours à la maison et que les grandes
vacances arrivaient.
Je secouais la tête
pour chasser les idées noires, et me replongeais dans mon questionnaire.
Répondant aux questions sans difficulté, je m’arrêtais au tout dernier
point : « Moyen de paiement désiré ». Deux options s’offraient à
moi : le revenu mensuel fixe ou la possibilité de retirer l'argent virtuel
pour l’échanger contre de l'argent réel. Dans Boundless Realm, à
l’instar de tous les MMO, on était seulement autorisé à verser de l'argent à
l’entreprise. On pouvait placer de l'argent réel dans le jeu, mais il n'y avait
aucun moyen de le récupérer. Seuls les employés de la corporation échappaient à
la règle. Ils avaient le droit de retirer l'argent virtuel du jeu en lieu et
place d'un vrai salaire, s’ils avaient choisi l’option.
Pour ma part, cette
option était ce qui m’avait incité à travailler pour Boundless Realm.
Soyons honnêtes, aucune entreprise en bonne santé n’était prête à offrir un
salaire régulier aux minables présents dans la même salle que moi ce jour-là. Et
là ils arrivaient avec un moyen légal de convertir l’argent virtuel en argent
réel... On ne sait jamais. Mon personnage pourrait s’enrichir dans le jeu, par
exemple. Ce qui remédierait une bonne fois pour toutes à mes ennuis financiers
dans la vie réelle. Cela dit, ma sœur et moi étions tout à fait conscients que
pour un gagnant, des milliers de personnes allaient droit dans le mur et
verseraient sang, sueur et larmes pour un travail qui, en définitive, serait
moins rentable que le SMIC. Mais nous avions fait ce choix en toute conscience
et d’un commun accord.
La femme d'âge mûr
assise à mes côtés, joufflue, avec ses airs de comptable sur le retour, me
donna un coup de coude. Elle voulait qu’on lui explique « charisme »
et, chuchotant bruyamment, interrogeait tous ses voisins sur le sens de ce terme.
Je n’entendis pas la réponse du type assis en face d'elle, mais il semblait se
contenir pour garder son sérieux. Le visage de la femme devint clairement
cramoisi, et elle se mit à marteler sa tablette à la vitesse d'une imprimante
tout en dissimulant ce qu'elle écrivait de la main gauche. Je secouais la tête.
Eh bien, si le calibre de la compétition était de cet ordre-là… Je cochais
résolument l’option « Retirer l'argent virtuel ».
Bon, choix validé.
Plus de retour en arrière possible. Je m’efforçais tout de même de dissiper le
sentiment rampant de terreur qui me venait quand je pensais à mon fort vide compte
en banque. Et pas seulement parce que j'étais fauché. J’avais aussi contracté
un emprunt dont les intérêts s’accumulaient au fil du temps. Si je ne
remboursais pas dans les semaines à venir, la banque bloquerait ma carte.
Par-dessus le marché, ma sœur et moi n'avions pas payé le loyer depuis trois
mois. Notre propriétaire nous menaçait déjà d’expulsion. Il serait extrêmement
dur de nous dépêtrer de cette situation sans un salaire fixe.
Mais je décidais de
relever le défi, comme le jour où j'avais acquis une propriété virtuelle dans Kingdoms
of Sword and Magic. Mais cette fois, l’enjeu n’était pas un appartement à
deux chambres dans un quartier chic, mais tout ce qu'il nous restait, à ma sœur
et moi.
*
* *
« Allez. Bienvenue à tous ! » Un homme,
teint basané, cheveux foncés et bouclés, élégamment vêtu, se dirigea tout à
coup vers la petite estrade. « Je m’appelle Alexandro Lavrius. Je suis le
directeur des Opérations Spéciales pour la corporation Boundless Realm.
Et vous avez été sélectionnés pour travailler sous ma direction en tant que
testeurs de trames pour un jeu vidéo. Il a un souci, ce micro ? »
Le microphone
émettait un couinement irritant qui résonnait dans mes oreilles. La jeune
assistante du directeur, l'air effrayé, accouru prestement sur la scène pour
ajuster le microphone attaché au col d’Alexandro. Le directeur toisa sa
subordonnée, les yeux pleins de futures remontrances, et poursuivit :
« Bon, voilà
qui est réglé. Tout d’abord, une courte présentation. Le jeu virtuel Boundless
Realm que vous allez explorer est très vaste. Contrairement à ce que son
nom indique, il n’est pas infini, mais sa superficie est tout de même gigantesque.
Comme il l’est plus que notre Terre, autant dire que vous pourrez voyager et
partir en quête de nouveaux sites intéressants de façon quasi illimitée. Pour
l’heure, Boundless Realm accueille pas moins de deux cent quarante
millions de joueurs, et en gagne entre deux et trois millions par mois. Notre
corporation aurait pu se reposer sur ses lauriers et se contenter d’engranger
les profits. En fait non. Notre système de gestion met sans cesse au point des
projets novateurs, toujours plus grandioses, et le développement du jeu est
toujours en plein essor. Cependant, le service de planification a signalé un risque
sur le moyen terme, et le comité de direction confirme l’existence d’une telle
menace.
Deux obstacles
majeurs en ressortent. Premièrement, malgré la myriade de peuples différents
dans Boundless Realm et la singularité de leurs caractéristiques,
soixante-dix-huit pour cent des joueurs préfèrent incarner des humains. C’est
clairement déséquilibré. Et vu que dix-sept pour cent d’entre eux jouent
différents types d’elfes et demi-elfes, contre trois pour cent de nains, on identifie
clairement le nœud du problème. Ceux qui choisissent les peuples restants, et
il en existe plus d’une centaine, représentent seulement deux pour cent des
joueurs.
Les raisons d’une
telle disparité sont nombreuses. Déjà, les nouveaux joueurs potentiels n’ont
quasiment aucun exemple positif de joueurs qui ont choisi les peuples les plus
impopulaires. Et cela s’explique par le fait que les forums du jeu foisonnent
de guides sur les paladins humains, les archers elfes sylvains, les mages elfes
noirs et les assassins demi-elfes. Il n’est pas surprenant que les nouveaux
joueurs redoutent de s’engager dans une voie incertaine. Comme ils sont limités
à un seul personnage, ils refusent de s’y risquer. La conséquence regrettable
est que les nouveaux joueurs ont tendance à créer des paladins humains, des
archers elfes ou des nécromanciens elfes noirs, alors que notre univers en
regorge déjà. Les utilisateurs existants perdent, à juste titre, le sentiment
d’être singuliers et leur intérêt pour le jeu car, jour après jour, ils
croisent des copies parfaites d’eux-mêmes.
Le second problème
se situe au niveau du choix des résidences. Face à nos joueurs s’étend un
royaume à perte de vue, un Boundless Realm, qui peut même s’agrandir au
besoin. En outre, la carte actuelle est à peine exploitée :
quatre-vingt-dix pour cent des joueurs résident en périphérie immédiate de
l’une des quelques mégalopoles. Les raisons d'une telle surpopulation sont
nombreuses, mais celles qui président sont intrinsèquement économiques. En ville,
les ressources sont accessibles, l'argent circule, il y a des banques où les
joueurs peuvent stocker leurs biens en toute sécurité. C'est pourquoi, malgré
le coût plus élevé des biens immobiliers et des ressources sur place, les
joueurs continuent d’affluer en nombre vers ces villes pour y élire domicile.
Des millions de sites sublimes, créés par des artistes talentueux, avec une
profusion de missions uniques et d’habitants, restent inexploités. En outre,
nous constatons une insatisfaction croissante parmi les joueurs, car “il n'y a
plus rien à découvrir et c’est saoulant à la longue.”
Où je veux en
venir ? Vous l’aurez sans doute compris, aucun d'entre vous ne pourra
choisir des personnages humains ou elfes, et aucun n’incarnera un énième
chevalier ou un énième archer. Par ailleurs, vous débuterez la partie en des
contrées éloignées et hostiles, et accéder aux zones surpeuplées s’avèrera
très, très problématique. D’ailleurs, notre entreprise condamnera sévèrement de
tels comportements. Vous aurez tous un départ alternatif dans le jeu, de sorte
qu’affronter des périls et obstacles sera fort probable, et non fortuit. Nos
groupes témoins ont prouvé que les défis à surmonter créent un point d’ancrage
qui retient les joueurs plus longtemps dans l’univers du jeu. Nous espérons à
terme que tous les néophytes feront leurs premières armes dans ce type de zone,
ainsi l’une de nos missions sera de vérifier si votre personnage est capable de
survivre et d’évoluer en milieu hostile.
Votre groupe fait
partie de ceux qui ont été sélectionnés ces dernières semaines pour tester de
nouvelles combinaisons de peuples et de classes atypiques, encaissant coups et
blessures au passage. Mais il va aussi falloir créer des guides accrocheurs qui
décrivent de façon convaincante les vertus de vos peuples, classes et
professions si singuliers. Que les choses soient claires : rares sont ceux
qui passeront la période d’essai et seront engagés comme permanents, car notre
corporation est en quête de personnalités et de trames qui susciteront
l’engouement parmi les joueurs actuels et en devenir. Cela dit, même si vous
ratez la période d'essai, vous engrangerez une expérience précieuse dans le
domaine du jeu vidéo, et c’est l’occasion de jouer en immersion dans Boundless
Realm en profitant des technologies dernier cri.
À présent, vous
allez recevoir vos cartes d’affectation de personnages, automatiquement
sélectionnées par le système en fonction des résultats du test d'aujourd'hui.
Puis vous aurez le temps de poser vos questions à mon assistante. Suite à cela,
rendez-vous au service RH avant la fermeture des bureaux pour signer vos
contrats et vous atteler dès demain à la tâche. »
« On peut
commencer à jouer dès aujourd’hui ? » interrogea un garçon au visage
pâle et joufflu, émaillé d’acné juvénile.
Alexandro Lavrius
leva les yeux derrière nous pour regarder l’horloge murale, posa discrètement
une question à sa jeune assistante, et répondit :
« Vous pourrez
commencer après la signature du contrat. Gardez aussi à l’esprit qu’en ce
moment, il est seize heures dans Boundless Realm et que la nuit tombe à
vingt et une heures. Après cette réunion, vous irez au service RH, on vous
montrera votre station de travail et on vous expliquera le fonctionnement de la
capsule de réalité virtuelle. Il vous faudra ensuite créer un personnage,
commencer les missions d'entraînement puis explorer le monde principal… Il vous
restera peu de temps pour vous trouver un abri où passer la nuit. La nuit dans
Boundless Realm, en-dehors des villes et lieux sécurisés, est rude et
hostile. Vous avez de fortes chances de finir dans l’estomac d’une créature.
Auquel cas vous perdrez une partie de vos points d’expérience et vous aurez une
heure pour respawner. Mais si vous voulez prendre ce risque et vous mettre
directement dans le bain, je n'y vois pas d'inconvénient. Si vous survivez à la
première nuit, l’expérience sera bénéfique pour vous et pour votre carrière de
testeur. »
*
* *
Herboriste gobelin ??? J’examinais la carte que je
venais de recevoir, perplexe. Je m’emparais alors de mon smartphone pour me
renseigner sur les Gobelins dans Boundless Realm. Le premier lien me
récompensait de la description qui suit, extraite d'un forum :
« Les Gobelins
sont de viles créatures qui aiment jouer des tours, saccagent les potagers et
attaquent les aventuriers esseulés. Heureusement les Gobelins sont si frêles
qu’un noob saura en venir à bout. On trouve parfois des villages entiers de Gobelins.
Ils sont une source d'expérience non négligeable et un moyen facile pour les
néophytes de faire du level up. Étrangement, les développeurs ont rendu ce PNJ
jouable. J'ai du mal à imaginer un joueur assez idiot pour choisir un détritu
verdâtre, avec ses malus ultra restrictifs en intelligence et en force, au
point qu’il peut d’ores et déjà renoncer à devenir un mage ou un guerrier digne
de ce nom. D'un point de vue purement théorique, je peux imaginer un joueur
Gobelin se spécialisant pour être archer ou arbalétrier en raison de ses bonus
en agilité et en perception, mais je n'ai jamais rencontré de joueur assez fêlé
pour relever le défi, étant donné que tous les types d’elfes jouissent de bonus
plus puissant. Et puis, ces merdasses vertes souffrent d’un sérieux malus
d’affinités avec les humains. Du coup il peut renoncer à aller dans les zones
par défaut du jeu. »
Sachant que ce
texte était accessible à tout joueur aspirant à jouer Gobelin, pourquoi les
développeurs de Boundless Realm ne comprenaient-ils pas cette réticence
généralisée ?!
L’auteur de ce
texte avait pour pseudo : le Bûcheron infesté. D'après son compte sur le
forum, il jouait Druide humain niveau deux cent quatre. Je consultais par
curiosité les sept liens suivants dans le moteur de recherche, mais j’obtenais
partout des résultats tout aussi détestables. J’avisais ma sœur par message du
personnage que l’on m’imposait, puis je continuais à compulser les guides sur
les Gobelins et l'herboristerie.
Mon attention fut
détournée par un bruit étrange non loin de moi. Je levais la tête. Alors que le
directeur était parti depuis belle lurette, la dame aux airs de vieille
comptable, celle qui se renseignait sur le charisme, se querellait avec
l’assistante.
« Un souci
avec le personnage que l'on vous a affecté ? » interrogeait
l’employée d'un ton calme, presque monotone.
« Vous voulez
rire ?! Une danseuse dryade ! J'ai lu dans les forums que les dryades
sont nues ! Un peu de jugeote, voyons ! Moi qui pensais postuler
comme employée de bureau... Je peux admettre que votre planning a des failles,
mais de là à travailler comme strip-teaseuse... ! »
L'assistante du
directeur était déjà à bout depuis l'incident du microphone, et une pointe
d'agacement transparaissait dans sa voix :
« Le système a
établi que cette combinaison de peuple et de classe serait optimale pour vous.
Si cela vous déplaît, je suis dans le regret de vous annoncer que votre période
d’essai s’achève là et que vous serez la première à quitter le groupe... »
Le visage du garçon
qui lui avait expliqué plus tôt le sens de charisme s’éclaira d’un sourire
goguenard. Si le système en était arrivé à cette drôle de conclusion, c’est
qu’il avait dû l’induire en erreur. Oh le petit vilain… L'assistante tendit la
main avec insistance, prête à reprendre la carte de personnage des mains de la
dame mais, à cet instant, une voix de femme jeune retentit dans les rangs du
fond :
« Attendez !
Je peux échanger mon personnage avec le sien ? » Une jolie fille aux
longs cheveux châtains foncés tressés jusqu'à la ceinture se leva pour
s’acheminer vers l’estrade. « J'ai fait des recherches préliminaires sur
les dryades. Même si leurs slots d’équipements sont réservés aux bagues et
bracelets, le bonus de leur peuple compense le reste. En plus, la classe des
danseuses a l’air d’être faite pour les dryades. Après tout elle ont un bonus
en attractivité, en charme, et à la réaction de tout individu du sexe
opposé. »
L’assistante
confirma :
« Tout à fait.
C’est un sérieux atout, et ce personnage peut cumuler pas mal de points
d’expérience. Et puis la voie de la dryade danseuse est on ne peut plus
atypique. Il n’existe aucun guide à ce sujet, et si vous êtes capable de faire
évoluer ce genre de personnage, vous passerez la période d’essai haut la
main. »
La femme aux
allures de comptable grimaça et marmonna, dépitée :
« Bon, on vous
a refilé quoi comme cochonnerie… On peut difficilement faire pire que la
danseuse exotique. » Elle arracha la carte épaisse des mains de la fille
et lut. « Oh oui, oui, oui ! Un Gnome banquier ! Le rêve de
toute ma vie ! »
La femme d'âge mûr
fut à deux doigts d’embrasser la jolie fille qui avait troqué sa carte contre
la sienne. Puis j’entendis les gens s’écrier autour de moi :
« Quelqu'un
veut échanger un Troll cannibale ? »
« J’échange
mon Hobgoblin roublard contre n’importe quelle autre classe ! »
« Quelqu'un
veut un Orque astrologue ? Je l'échange contre un personnage de
mêlée ! »
Sans attendre la
fin de cette foire aux monstres, je me levais pour gagner le service RH. Mon
Gobelin herboriste n’était peut-être pas si mal, finalement. J'étais satisfait
du sort qui m’était réservé.
*
* *
Si je tentais tant bien que mal de dissimuler mon
ressenti, j'étais bluffé par l'opulence et le luxe que dégageait l’entreprise Boundless
Realm. Elle possédait un
immense gratte-ciel qui semblait également s’étendre en une multitude d’étages
en sous-sol. Alors que l'ascenseur descendait, je remarquais que des étages ne
correspondaient à aucun bouton sur le panneau. Mais je les voyais à travers les
vitres transparentes des portes de l'ascenseur. Une légion de gardes armés
jusqu'aux dents, avec gilet pare-balles et masques à gaz, faisait le piquet.
Arthur, l'aimable technicien chargé de me déposer à ma station de travail,
m'expliqua que ces étages souterrains étaient impénétrables pour de simples
mortels tels que nous. Qu’ils hébergeaient le saint des saints de la
corporation : les serveurs du jeu. Et qu'il était plus dur d’y entrer que
de s’infiltrer dans une chambre forte remplie d'or. Ces étages techniques
étaient truffés d'une pléthore de systèmes de sécurité et saturés d’un gaz
toxique pour dissuader tout criminel de tenter une intrusion.
Sans faire halte
nous passâmes devant la rampe du parking souterrain. Il débordait de voitures
luxueuses et bolides volants. Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent à l'étage
des testeurs et de l’IT, le département informatique. Une vaste salle qui
s’étendait à perte de vue, aux multiples passerelles le long desquelles étaient
alignées de petites cabines d'aspect identique. Arpentant l'une de ces longues
plates-formes, Arthur et moi nous stationnâmes devant une porte translucide. Je
regardais fixement l'inscription dessus : « 4-16A. »
« Quatrième
étage, côté A, cabine seize. C'est ici ton lieu de travail. Entre, prends tes
marques et retire ta veste, » expliqua-t-il, pointant du doigt une chaise
et un portemanteau mural sans pour autant entrer. « Chaque cabine est
équipée d'un bureau rétractable et d'un réfrigérateur intégré pour stocker tes
repas et grignoter avant le travail. Tu trouveras des w.c. toutes les cinquante
cabines, et tout au bout de chaque passerelle, des salles de douche. Mais
chaque rangée comporte trois cents cabines, donc ne compte pas trop sur la
disponibilité des douches, surtout en soirée vers la fin d’un quart. Allez,
bonne chance ! »
Alors qu'Arthur
prononçait la dernière phrase, son regard se détourna de moi et s’orienta vers une
jeune femme fort avenante … - Bon, autant le dire, absolument renversante avec
son abondante chevelure rousse - qui passait devant ma cabine, l’air sûre d’elle.
Elle portait une longue robe vert émeraude, des talons aiguilles et un chapeau
à large bord. Ses doigts aux bagues serties de gemmes étincelaient dans ma
direction et captivaient mon regard. Elle ne s'arrêta pas pour regarder Arthur.
Elle ne semblait pas non plus me remarquer. Elle parcourut encore une quinzaine
de mètres, puis fit halte devant une porte standard, semblable à la mienne. Sa
clé électronique émit un bip, puis la fille mystérieuse s’engouffra dans sa
cabine.
« Qui
est-ce ? » chuchotais-je au technicien, raide comme un piquet.
Arthur revint
brusquement à la réalité, en frissonnant.
« Elle ?
Qu’est-ce que j’en sais ? Elle travaille ici. Elle arrive le soir et
repart dans la matinée. Elle doit jouer un personnage nocturne. Visiblement
c’est une joueuse talentueuse qui gagne bien. Une fois, j’ai vu sa place de
parking au sous-sol. Elle conduit une voiture de sport luxueuse. Je ne connais
même pas la marque. Je ne pourrais pas me payer avec toute une vie d’économies.
Mais le personnage qu’elle joue, j’en sais rien. On n’a pas accès à vos
avatars, on installe l’équipement, c’est tout. Pourtant, d’habitude, les
joueurs de haut niveau disposent de bureaux personnels dans les étages
supérieurs du bâtiment, mais elle trouve sans doute plus confortable de descendre
directement depuis sa place de parking. Bref. Déshabille-toi, que je prenne tes
mesures pour ta combinaison et ton casque à capteurs. »
Juste après que la
porte se soit refermée derrière Arthur, je sortis mon téléphone pour dire à ma
sœur que j’étais prêt.
« Ouvre la
console et donne-moi le numéro de la capsule de réalité virtuelle et de la
session de jeu. Je vais tenter de me connecter. »
Je saisis une
commande technique au clavier et fit un cliché avec la caméra de mon téléphone.
« Attends cinq
minutes pour qu’on commence en même temps. »
J’enfilais la
combinaison hérissée d’électrodes avant de prendre place dans la capsule de
réalité virtuelle. Consultant le minuteur sur le petit écran, je patientais
cinq minutes, puis refermais le couvercle de la capsule de réalité virtuelle,
me déconnectant de la réalité. L’écran s’éclaira sous mes yeux...
*
* *
Dégâts subis : 2757 (Morsure de chauve-souris
maudite)
Vous êtes mort
*
* *
Bon sang, c’était quoi ça ?! Ce message avait surgi
dès le chargement de l’écran ! L’image se dissipa peu à peu, et tout
s’obscurcit autour de moi. Une minute s’écoula, puis une autre, et peut-être
une autre encore. Rien ne se passait. Comment ça ? Pas d’interface de jeu,
pas de fenêtre de menu, le noir complet, partout. De toute évidence, il y avait
un souci. Les chauves-souris ! Bien sûr ! C’était ma toute dernière
vision lors de ma brève partie en tant que barbare. En gros, on me sortirait de
ma capsule et j’allais être licencié pour avoir menti à l’entretien.
Le monde autour de
moi reparut subitement, et la fenêtre de création de personnage s’afficha à
l’écran. Ouah, c’était moins une. Donc, qu’avais-je là ? Un herboriste
Gobelin, niveau un. Je ne pouvais modifier ni le peuple ni la classe.
Nom du
personnage : Amra.
Encore une fois,
j’étais ruisselant de sueur froide. Lors de la création de mon barbare, le
premier nom qui me vint à l’esprit fut « Conan », en hommage au
célèbre barbare de la télé, mais c’était déjà pris. Puis, j’avais cherché un
autre nom qu’utilisait le célèbre héros, « Amra », et celui-là était
dispo. Autant que je sache, les règles du jeu avaient changé ces trois
dernières années et, dorénavant, tous les personnages devaient avoir des noms
composés en deux parties : « Tony Cœurnoir », « Félix
Faufile_Serpent », « Ellie Trop_Belle_LV. » Ce genre de choses.
Mais mon pseudo à moi était unique, et en plus, ne faisait que quatre
lettres...
Un noob au nom
unique ? Cela m’aiderait sans doute à camoufler mon affiliation à
l’entreprise. Je n’étais pas non plus opposé au principe. Il était tellement
agréable de se sentir unique ! Bon, c’était le moment de gérer mon
apparence et mes stats.
Un visage vert
m’observait. Il était constitué d’une grande paire d’yeux et d’oreilles aux
dimensions démesurées. Le système me conseillait de faire mumuse avec les
paramètres, de transformer mon Gobelin standard pour le personnaliser et
l’adapter à mes goûts, mais je décidais de remettre cela à plus tard. L’aide de
jeu m’expliqua que l’apparence de mon personnage serait librement modifiable
dès la fin du niveau dix, donc je pouvais l’ignorer. Quelque chose d’autre
me turlupinait : Alexandro Lavrius nous avait avertis : il restait
peu de temps avant la tombée de la nuit, il n’y avait donc pas une seconde à
perdre.
En premier lieu, je
voulais voir les bonus et malus du peuple Gobelin. Hélas, Bûcheron infesté
n’avait pas exagéré au sujet des malus :
50 % de malus
à l’acquisition d’Intelligence
50 % de malus
à l’acquisition de Force
20 de malus
d’affinité avec les peuples suivants : Humains, Elfes, Nains, Gnomes,
Dragons
20 % de malus
au gain d’expérience
La pilule des malus
était très dure à avaler. Ce qui me contrariait le plus, c’était le malus au
gain d’expérience. Les caractéristiques négatives du peuple Gobelin étaient à
peine compensées par les bonus, soit :
30 % de bonus
à l’acquisition d’Agilité
30 % de bonus
à l’acquisition de Perception
+20 de bonus
d’affinité avec les peuples suivants : Gobelins, Orcs, Kobolds, Ogres,
Géants
+30 de bonus à la
réaction des créatures sylvaines et des marécages lors d’une rencontre
30 % de bonus
à la vitesse de déplacement dans les zones sylvaines et marécageuses
Enfin, j’abordais
les stats principales de mon Gobelin aux grandes esgourdes. Chaque personnage
dans Boundless Realm, qu’il soit PNJ ou réel, n’avait que six
statistiques principales : Force, Agilité, Intelligence, Constitution,
Perception et Charisme. Globalement, c’était assez basique et limpide. La Force
régissait les dégâts que l’on pouvait infliger avec des armes de poing et le
poids maximum de charge. L’Agilité était importante pour les armes à distance
et l’esquive. L’Intelligence permettait de déceler les propriétés des objets et
définissait la quantité de mana disponible pour un enchantement, ainsi que
l’efficacité des sorts. La Constitution influait sur le nombre de points de vie
et d’endurance. Et la Perception correspondait aux sens de la vue, de l’odorat
et de l’ouïe d’un personnage, et augmentait les chances de dénicher des objets
cachés. Enfin, le Charisme : une stat affectant les affinités qu’éprouvent
les personnages alentour à votre égard.
Il y avait
différents moyens d’augmenter les stats de base : affecter un certain
nombre de nouveaux points de stat à chaque niveau, accroître les stats en
faisant évoluer le niveau des compétences primaires, ou les augmenter avec des
objets magiques.
Nom
|
Amra
|
Peuple
|
Gobelin
|
Classe
|
Herboriste
|
Expérience
|
0 sur 100
|
Niveau du personnage
|
1
|
Points de vie
|
15/15
|
Points d’endurance
|
15/15
|
Statistiques
|
|
Force (F)
|
2
|
Agilité (A)
|
2
|
Intelligence (I)
|
2
|
Constitution (C)
|
2
|
Perception (P)
|
2
|
Charisme (Ch)
|
2
|
Points à affecter
|
3
|
Compétences primaires
(2 sur 4)
|
|
Herboristerie (P A)
|
1
|
Marchandage (Ch I)
|
1
|
Compétences secondaires
(0 sur 4)
|
Les développeurs
avaient attribué à mon personnage deux compétences primaires par défaut :
Herboristerie et Marchandage. Et si la première ne me laissait pas l’ombre d’un
doute (il était clairement difficile d’imaginer un herboriste mal instruit au sujet
des plantes), le Marchandage me laissait quelque peu perplexe. Il m’était
impossible de supprimer le Marchandage des compétences. Partant de là, les
développeurs me voyaient comme un frêle gobelin gambadant dans les bois,
cueillant des plantes pour les revendre aux marchands locaux. Donc il me
fallait la compétence Marchandage pour empêcher les marchands ambulants peu scrupuleux
de me rouler dans la farine. L’intelligence de mon personnage équivalant celle
d’un tabouret, je me serai fait escroquer tout mon argent sans compétence en
négociation. J’étais un peu dérouté par les lettres entre parenthèses après les
compétences, mais je compris vite qu’il s’agissait des statistiques octroyées
au personnage à mesure qu’il les utilisait.
Trois points de
stat disponibles, ça paraissait léger ! Après avoir réglé les paramètres
et consulté les détails, je m’aperçus que les points de vie et d’endurance ne
dépendaient que de la constitution. Très bien, j’allais placer un des points
disponibles là-dedans. Mon total de points de vie grimpa à 21, l’endurance à
20.
Et puis je
m’arrêtais sur l’agilité. D’après le guide du Bûcheron infesté et de ce que je
déduisais des bonus de mon peuple, l’agilité serait le facteur de réussite clé
de mon personnage aux grandes esgourdes. J’y affectais deux points, ce qui la
rehaussa à quatre. C’était plié. Quoique... Au tout dernier moment, juste avant
de lancer la partie, je me dis qu’il était intolérable que l’intelligence de
mon Gobelin soit si faible. Dans la description, il était clairement dit qu’un
niveau d’intelligence inférieur à trois briderait ma capacité à m’exprimer
correctement ou à comprendre les autres. Ça voulait dire qu’en l’état, je ne
pourrai pas dialoguer avec d’autres joueurs et PNJ ou comprendre les missions
et les aides de jeu. J’abaissais mon charisme au minimum (déjà que ce n’était
pas un beau gosse, ça devenait carrément une monstruosité) et transférais ce
point vers l’intelligence.
Là c’était vraiment
fini. J’étais prêt à me lancer !
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