Sunday, November 17, 2019

Testeur de Contenu (Chapitre 2)



 

La galère orque

LA PEUR. LE FROID. LA DOULEUR. LA FAIM. Mon corps lessivé me picotait et me lançait. Malgré la douleur et la fatigue, je percevais un vacarme assourdissant. Alors que j’aurais préféré les ignorer et m’échapper dans une douce rêverie, les bruits s’intensifiaient. Je percevais le cliquetis des armes, des rugissements, des hurlements d’agonie. Je respirais l’odeur du sang fraîchement versé. M’efforçant d’ouvrir les paupières, je m’aperçus que j’étais allongé sur un sol jonché de paille dans une cabine obscure. Je tentais de me déplacer, mais ma cheville gauche était solidement attachée à une lourde manille en métal, elle-même fixée à une chaîne liée à une fer fichée dans le mur. J’étais donc prisonnier ?
À la lisière de mon champ de vision, je vis un grand orc en armure de cuir accourir en brandissant un sabre recourbé. Et deux secondes plus tard, son corps ensanglanté s’écrouler à terre. Le tueur d’orc, un humain en armure, s’avança vers le corps gisant au sol et, prudemment, acheva l’orc, faisant glisser une courte lance à travers le torse.
« Visiblement, c’est le dernier ! » hurla-t-il à quelqu’un au loin qui lui répondit d’une voix grinçante :
« Parfait ! » Libère les prisonniers et transporte-les sur notre vaisseau ! Cette galère orque va bientôt se fracasser contre les falaises! »
J’allais être libéré ! À peine eussé-je le temps de souffler que l’immense soldat tourna les talons pour m’examiner, afficha une mine dégoûtée et me transperça avec sa lance !

* * *

L’obscurité revint. Je gisais là, totalement éberlué, peinant à comprendre ce qui venait de se produire. Cet homme venait de me tuer, disons plutôt de m’infliger de sérieuses blessures, alors qu’il était censé me secourir ! Pourquoi ?
Une voix intérieure me souffla que tout ceci était prévisible. Déjà, les gobelins avaient un malus de -20 à la réaction des humains, et en plus, j’étais dépourvu de tout charisme. C’était donc la réaction à prévoir devant un humain, un elfe ou un nain.
La douleur se raviva, et j’ouvris les yeux. Je voyais le monde en rouge et noir. Comme avant, j’étais étendu sur de la vieille paille moisie, cette fois-ci trempée d’un sang épais et foncé. Mon sang.

+1 PV de la Régénération

La blessure à l’estomac infligée par la lance était presque guérie, mais ma jauge de vie, 3 sur 21, clignotait dangereusement. À vrai dire, j’ignorais que les Gobelins pouvaient régénérer leurs points de vie. Pourquoi n’était-ce nulle part dans les guides ? La régénération était peut-être un ajout récent pour rendre ce peuple plus jouable. N’empêche que... je souffrais le martyre avec ma blessure à l’estomac ! Et avouons-le, mourir était fort déplaisant, même dans un jeu.
Ce que j’aurais pu faire par la suite, je l’ignore, car un rat me fonça dessus sans crier gare en se faufilant sous les barreaux de bois de la cellule.

Rat niveau 1

La petite créature suivait la piste grâce à son flair, l’air inquisiteur, envoûtée par les exhalaisons enivrantes du sang. Je bougeais à peine pour replier la jambe droite et le rat fit volte-face sans pour autant détaler. Il prit plutôt le temps de m’observer. En plus, il semblait éprouver un intérêt grandissant pour mes propriétés gustatives. Si j’avais été en parfaite santé, tuer ce genre de créature aurait été à ma portée. Dans le cas présent, il ne me restait plus que trois malheureux points de vie... Il allait me dévorer tout cru !
Visiblement, la créature tira la même conclusion que moi et fonça dans ma direction. La suite, ni moi ni le rat n’aurions pu l’anticiper :

Dégâts infligés : 10 (Morsure vampirique)
Points de vie restaurés : +5 PV

Gain d’expérience : 8 XP
Objet obtenu : Viande de rat (aliment)

Réussite débloquée : Goûteur (1/1000)
Capacité de peuple débloquée : Le goût du sang (octroie +1 % à tous les dégâts infligés par créature unique tuée avec Morsure vampirique. Bonus actuel : 1 %)

Paramètre débloqué : Étancher la soif (10/15)

Je m’assis quelques secondes, me délectant de l’infâme sang de rat, digérant les événements dans tous les sens du terme. Étais-je un vampire ? J’ouvris le menu de mon personnage pour en avoir le cœur net, et la réponse ne laissait planer aucun doute :

Peuple : Gobelin vampire

Heureusement, on pouvait cacher le second terme du peuple en cochant la case d’une rubrique spéciale intitulée « Masquer pour les autres joueurs. » Je lus la description du peuple vampire, remerciant le ciel et les développeurs d’avoir permis cette dissimulation :

-50 de pénalité à la réaction de tout peuple vivant si révélé
Pénalité : Cible légitime à abattre pour les joueurs et PNJ de peuples vivants si révélé
Pénalité : Ne peut pas cacher sa véritable nature dans l’état Soif de sang
Pénalité : Mort instantanée si frappé par la lumière du jour

J’étais dans de beaux draps... Dorénavant, ma priorité serait de préserver ce secret. Tout ceci n’était pas non plus dépourvu d’avantages. Au niveau un, par exemple, un vampire pouvait obtenir +1 en Régénération de PV par minute et un type d’attaque bonus (et pour une fois, ce n’était pas spécifique à la main droite ou gauche) :

Morsure vampirique
Coût : 10 PE (points d’endurance)
Dégâts : (1-6) * Force
Points de vie de l’attaquant restaurés égaux à 50 % des dégâts infligés
En attaquant des cibles endormies, inconscientes ou paralysées, les chances de succès sont de 100 %, et l’attaquant peut choisir un effet : (Mort instantanée/Sommeil profond durant 6 heures/Infection par vampirisme)

Je relus la description de l’attaque. Ça voulait dire que je pouvais tuer n’importe quelle créature, tous niveaux confondus ? Il suffisait qu’elle dorme, et là, même les personnages de niveau 100 étaient cuits. Quelle intarissable source de level-up ! Et je pouvais tout aussi bien le faire sur des joueurs que sur des PNJ... Un instant ! Je me ravisais. Si j’utilisais cette capacité ne serait-ce qu’une seule fois à l’encontre d’un joueur, mon secret serait révélé. Je serais traqué le restant de mes jours, tué sans relâche, juste parce que c’était admis par le règlement. Et à chaque décès, je souffrirais physiquement et mes points d’expérience chuteraient. Il me fallait donc garder le secret du vampirisme.
« Qui est là ? Je t’entends ! » retentit une voix de l’extérieur de ma cellule, matérialisant mes pires craintes.
Je sursautais et essuyais mes lèvres du revers de la main. J’avais besoin de tout sauf d’un étranger qui verrait du sang sur mon visage.
« Le rat moi taper. Lui attaquer. Paf-vlan moi taper, » répondis-je.
Sérieux ?! Ce n’était pas ce que je voulais dire, mais seules ces phrases bancales et hachées sortaient de la bouche de mon personnage. Tout compte fait, trois points en intelligence, c’était insuffisant. Je frémis en imaginant la manière dont mon personnage se serait exprimé avec une stat inférieure.
« Un rat ? Oui je l’ai vu. Il m’a observé un long moment puis a déguerpi. Tu as compris comment dégager ton bras de la chaîne ? Je n’ai pas assez de force. »

Mission reçue : S’enfuir de la galère des marchands d’esclaves
Classe de mission : Requise, entraînement
Récompense : 80 XP, accès au monde principal du jeu

« Chaîne moi sais pas. Moi mal. Homme blesser avec lance. »
De l’autre côté du mur, j’entendis le gloussement étrange de l’autre joueur.
« Je n’ose même pas imaginer ton niveau de charisme s’ils ont décidé de te tuer plutôt que de te libérer. Mais je suis surpris que tu ne sois pas mort. Tous les soldats sont de niveau vingt-cinq, ils ont les moyens de t’envoyer respawner d’un seul coup. Les soldats ne m’ont juste pas remarqué. Dès que le massacre a commencé dans la réserve, j’ai utilisé ma compétence Furtivité et j’ai même réussi à l’augmenter au niveau deux avant leur départ. Mais je n’ai pas vraiment réfléchi. Ils m’auraient peut-être libéré avec les autres prisonniers. Ou ils auraient pu m’envoyer spawner. Dans ces conditions, je n'aurais pas eu à me dépatouiller de cette chaîne. J’aurais été transporté au point de spawn, sain et sauf. »
Le sang se glaça dans mes veines. Le lieu de respawn dont il parlait n'était pas visible de mon point de vue. Et si le seul moyen de libérer des personnages à l'aspect aussi pathétique que le mien consistait à mourir pour revenir ? Non impossible ! Il devait y avoir d'autres moyens raisonnables de s'en sortir. J’examinais la courte chaîne rouillée d'un demi-mètre de long qui me retenait le bras. Dans un premier temps, je tentais de la fracasser.

Votre personnage n'a pas assez de Force pour effectuer cette action
Force requise pour briser la chaîne : 7

Bon, visiblement, je n’avais pas assez de force. Et si je brisais l’entrave au niveau du poignet ?

Votre personnage n'a pas assez d’Agilité pour effectuer cette action
Agilité requise pour briser la chaîne : 7

Encore un fail. J'observais attentivement ma main gauche. J'avais le poignet fin. Ma main était aussi fine, mais j'avais un pouce protubérant sur le côté qui m'empêchait de m'extraire des menottes. Et si... L'idée de ronger mon propre pouce paraissait tout à fait barbare, mais je ne la chassais pas d'emblée. J'avais la Régénération, et le pouce finirait par repousser bien assez tôt. Un vrai Gobelin est-il au-dessus de cela ? Non, décidais-je. Pas du tout.
J'arrachais ma propre chair de mes dents. La douleur était intense et mes points de vie dégringolèrent vite. Je dus même me résoudre à manger de la viande de rat sur le pouce pour restaurer un peu de ma santé. Mais mon idée avait fonctionné ! J’extirpais ma main ensanglantée des fers rouillés. Libéré, délivré ! Le sang cessa instantanément de couler, me laissant avec tout juste deux points de vie sur un total de vingt et un. Mais quelle importance ? La Régénération restaurerait mes points de vie à fond de train, jusqu’au max. Mais à cet instant, un débuff apparut...

Votre main gauche est blessée
Au cours des deux prochains jours, vous ne pourrez plus manier d’arme avec la main gauche, nager ni grimper sur des falaises ou des arbres.
Toute autre action effectuée avec la main gauche fera l’objet d’un malus de 30 %

Je n'avais obtenu aucun point d’expérience en ôtant ma chaîne. Soit les développeurs désapprouvaient la méthode, soit la mission n'était pas encore achevée.
« C'était quoi ? » s'enquit mon acolyte de derrière les murs.
« Moi retire chaîne. À ton tour. »
Je me levais enfin pour aller voir dans la cellule voisine. Et le type assis là était un véritable monstre ! Mi-humain mi-poisson bleu, d’énormes yeux globuleux, étendu sur le sol crasseux et inspirant des bouffées d’air avec avidité.

Trong le plongeur
Naïade
Plongeur niveau un

« T’es plutôt laid, Amra ! » s’exclama l’homme-poisson. Sa réaction était la même que celle de l’autre homme à l’égard de mon apparence.
Nous nous esclaffâmes ensemble, puis il répondit à la question que j’étais sur le point de lui poser :
« En créant mon personnage, je n’avais pas d’idée de pseudo. Je me suis dit que le second mot devait révéler ma profession. Je suis donc M. Plongeur, une Naïade classée plongeur. Aucune importance. J’aimerais que tu m’expliques comment tu as retiré cette chaîne. »
Je m’efforçais d’expliquer en des termes simples ma méthode ainsi que le débuff de deux jours que j’avais subi en retour. Le poisson secoua la tête.
« Ouh là... Ce n’est pas mon truc. Je dois pouvoir plonger et nager sous l’eau. Mais ce serait impossible avec une main gauche cassée. Il est plus facile pour moi de mourir et de ressusciter dans une heure, totalement libre et sans débuffs ou morceaux de corps mutilés. Qu’en dis-tu : Je continue de chercher le moyen de me libérer, mais si rien de sensé ne me vient à l’esprit, tu n’as qu’à me tuer pour que je respawn. J’ai besoin d’une heure de pause, de toute façon. Pour répondre à mes mails, et régler des petites affaires. Va où tu veux, mange, fais un tour, ensuite on pourra faire équipe. On dirait que faire cavalier seul est bien trop difficile. Ça te branche ? »
Au début, sa proposition me mit mal à l’aise. Trong le plongeur évoquait sa propre mort avec une sérénité déconcertante. Comme si la douleur qu’il allait ressentir n’avait que peu d’importance pour lui. Puis je réalisais que c’était un joueur lambda, sans capsule de réalité virtuelle. Il était installé chez lui, face à son écran ou un casque rivé sur le crâne, cherchant un moyen de sortir d’une zone d’entraînement ennuyeuse pour rejoindre, au plus vite et par tous les moyens, le vaste monde du jeu. Cela en disait long, car un joueur qui comme moi ressentirait les sensations de son personnage chercherait n’importe quel autre moyen de se libérer.
« Bon. D’accord. Je marche là, aller voir, » dis-je, répondant à la naïade enchaînée, et avançant le long de la coursive noyée dans l’ombre.
Il était temps d’aller voir l’interface. En premier lieu, j’appelais la carte des lieux, lui appliquais un effet de transparence, et la plaçais dans le coin supérieur droit. La carte, d’ailleurs, me localisait dans la soute d’une galère d’esclavagistes. Trong le plongeur, situé derrière moi, figurait sous la forme d’un triangle jaune, tandis que devant moi, dans la pénombre, trois points rouges étaient à l’affût. Je me référais à la légende des couleurs, et le rouge (logique) indiquait un ennemi. Le jaune représentait les PNJ et les joueurs dont les affinités à notre égard étaient neutres.
Je progressais prudemment, à pas lents. Ça sentait le sang frais, mais les cadavres de soldats répandus ici et là n’avaient pas disparu, comme cela se produisait au bout d’un moment dans la plupart des jeux. Je sentis quelque chose avec mon pied, et un contenant en verre roula au sol.

Fiole vide
Sert à stocker des élixirs alchimiques

Je ramassais le récipient. Ça pourrait me servir. Mon regard s’arrêta dessus, cherchant le moyen de zoomer dessus. Quelques secondes plus tard, un message apparut :

Voulez-vous prendre Alchimie (I A) comme compétence primaire ?

J’étais quelque peu dérouté. Était-ce si facile de s’octroyer une compétence ? Ni formation, ni mission, ni parchemin hors de prix ? L’alchimie... Ce pourrait être un sérieux avantage. Je cueillerais plantes et racines à foison grâce à mon métier, et je m’épargnerais la vente des matières premières à prix modique. Je pourrais préparer des élixirs supérieurs ou exceptionnels à base de plantes. Ce serait probablement plus rentable que de mélanger des plantes de base. Je choisis l’option « Oui. »

Vous avez pris Alchimie comme compétence primaire
Niveau de compétence : 1
Compétences primaires choisies : 3 sur 4

Avec beaucoup de retard, je pris conscience des répercussions de ce choix. Je venais de remplir l’un des deux slots de compétences restants sans avoir sérieusement examiné la question. Pire encore, ça améliorait l’intelligence, une stat que le peuple Gobelin augmentait 50 % plus lentement que la normale ! C’était considérable. Totalement inconsidéré, pour ne pas dit débile !!!
Plutôt que l’alchimie, j’aurais dû choisir une compétence privilégiant l’agilité et la perception, les points forts du Gobelin. Si je hissais le niveau de ce type de compétences à, disons, cent, j’obtiendrais 130 points d’agilité (100*1,3) plus 65 points de perception (50*1,3). Le cumul final aurait été de 195 points de stat en bonus ! Mais avec un niveau d’alchimie de niveau cent, vu le malus de 50 % au gain d’intelligence, je n’obtiendrais que 50 (100*0,5) points d’intelligence et 65 (50*1,3) points d’Agilité, totalisant 115 au lieu des 195 points que mon perso aurait pu avoir, si j’avais fait preuve de jugeote.
Honteux, j’étais à deux doigts de fracasser cette fiole de malheur contre le mur, mais je m’efforçais de rester calme et je l’emportais avec moi. J’ignore où les objets allaient dans la logique du jeu — j’avais pour seul équipement un pagne sale — ce qui ne m’empêchait pas de stocker des objets dans mon inventaire. Quoi qu’il en soit, je n’avais que huit slots. C’était limite. Il me faudrait un sac pour stocker mes affaires.
À quelques pas de là, je trouvais un autre contenant du même type, puis quatre autres. Une bataille avait dû faire rage il y a peu, comme en témoignait les taches de sang séché et les profondes entailles dans la table en bois. Les combattants avaient sans doute recours à des potions alchimiques de force ou de soin. Les six récipients identiques, heureusement, n’occupaient qu’un seul slot sur les huit disponibles dans mon inventaire.
Je m’approchais dangereusement des points rouges sur la carte. Toujours pas d’ennemi en vue, mais je redoublais de prudence à mesure de ma progression. Et, à ce moment précis, un autre message apparut :

Voulez-vous prendre Furtivité (A C) comme compétence primaire ?

Cette fois-ci je prenais le temps de la réflexion. D’un côté, la Furtivité améliorerait mon agilité, chose utile. En même temps, mes quatre slots de compétences primaires seraient remplis avant même de commencer la partie... Ce choix n’était sans doute pas le plus judicieux pour faire évoluer mon personnage sur le long terme. D’ailleurs... il me fallait garder à l’esprit que j’étais un vampire. Les mécaniques du jeu ne permettaient pas de dissimuler mes compétences primaires. De façon logique, on se fie souvent à sa première intuition quand on rencontre un personnage pour la première fois, n’est-ce pas ? Mais si ma compétence de Furtivité était visible de tous, cela soulèverait des questions non sollicitées. J’étais censé être un Herboriste gobelin pacifique, après tout. Avec une once de regret, je refusais la Furtivité comme compétence primaire, mais je l’affectais en tant que secondaire. Si les compétences secondaires n’amélioraient pas les points de stats, la capacité de se déplacer discrètement s’avérait utile pour un vampire nyctalope. Et surtout, les compétences secondaires n’étaient pas visibles des autres joueurs.

Vous avez pris Furtivité comme compétence secondaire
Niveau de compétence : 1

Basculer en mode Furtivité était d’une simplicité enfantine. En revanche, mon personnage se déplaçait beaucoup plus lentement. N’étant pas pressé, je continuais à avancer de cette façon le plus longtemps possible. Comme je gardais un œil sur mes stats, j’avais bien repéré le moment où, subitement, la jauge de Furtivité vide avait commencé à se remplir doucement. Regardez-moi cette petite jauge ! Je risquais de me faire repérer si je ne redoublais pas de vigilance en marchant. Précautionneusement, je cheminais dans la cale obscure.

Rat niveau 1

Je l’avais vu tout en étant invisible.

Compétence Furtivité améliorée au niveau 2 !

Au comble du bonheur, je lus le message puis trébuchai sur une petite marche que je n’avais pas remarquée, m’étalant à plat ventre sur le sol. Et là, le rat me repéra. L’animal agressif se rua sur moi à bonds de géant ou presque, alors que je n’avais pas d’arme !

Dégâts subis : 4 (Morsure de rat)
Niveau de santé : 6/21

Plus que deux morsures avant que ne sonne le glas ! J’assénais deux coups au rat. Un de la main gauche, un de la main droite. Pas un seul dégât ! Échec.

Dégâts subis : 4 (Morsure de rat)
Niveau de santé : 2/21

Ne comptant plus sur la faiblesse de mes coups, j’étais bien décidé à le mordre.

Dégâts infligés : 8 (Morsure vampirique)
Points de vie restaurés : +4 PV
Niveau de santé : 6/21

Haaa ! Extase sublime ! Le minuscule rat ne faisait pas le poids face à une terrifiante créature nocturrrrrrrrrne ! Il va les sentir, mes crocs… Saint Gygax, aidez-moi ! La morsure suivante, me priva de nouveau de 4 PV, puis vint mon tour...

Points d’endurance insuffisants pour utiliser la compétence Morsure vampirique

Vraiment pas le moment pour être à court d’endurance ! Il allait me dévorer tout cru ! Dépité, je tentais de cogner encore ce rat, à mains nues.

Dégâts infligés : 2 (Coup)
Gain d’expérience : 8 XP
Objet obtenu : Viande de rat (aliment)

Je rejetais la suggestion importune de choisir Combat au poing (F C) comme compétence primaire. Je m’assis plutôt sur le sol humide recouvert de paille, exténué. Ma jauge de points de vie clignotait de façon alarmante à 2/21 PV, alors que mon endurance n’était qu’à 1/20. Grmf... Il me fallait être honnête, surtout avec moi-même : si mon Gobelin aux grandes esgourdes avait tiré son épingle du jeu face au rat, cela relevait du miracle. Je n’avais pas intérêt à chercher des noises à quiconque, clairement. Alors, avant d’affronter d’autres rats, je devais me mettre en condition. Déjà, restaurer ma santé et mon endurance, et idéalement, dégoter une arme, quelle qu’elle soit.
Je restais assis dix minutes, à respirer. Durant ce temps, mon endurance grimpa jusqu’à dix, tandis que ma santé, grâce à la régénération et la viande, s’était totalement restaurée. Me remettant en route, je ne tardais pas à découvrir un couteau abandonné au sol.

Couteau de cuisine rouillé
Dégâts : (1-4) * Force

C’était bien plus efficace que de cogner à mains nues avec (1-2) * Force ! À peine eus-je ramassé le couteau que le système me suggéra Dague (F A) comme compétence primaire. Je bougonnais. Cessez de me faire miroiter des choses alors que je n’y ai même pas réfléchi ! Si l’agilité était la stat primaire de cette compétence, j’aurais pu l’envisager, mais la force avec un malus de 50 %... Non merci. L’alchimie, avec un malus d’intelligence, c’était déjà le pompon ! Je ne voulais pas non plus choisir Dague en compétence secondaire.
N’empêche qu’il était plus facile d’éradiquer des rats au couteau de cuisine. Je subirais une morsure de 4 PV, je riposterais à 6 PV de dégâts au coup de couteau puis j’achèverais la créature avec Morsure vampirique. Mon endurance était toujours en berne, il me fallait donc attendre. Et si un autre rat que j’avais déjà repéré me faisait face, il était grand temps de retrouver Trong le plongeur.
L’homme-poisson était assis dans la même posture qu’auparavant, enchaîné au mur par les entraves métalliques. J’appelais Trong par son nom à plusieurs reprises, mais il mit quelques minutes à recouvrer ses esprits avant de répondre :
« Désolé, j’étais afk. Dès que tu auras fini tes affaires, tue-moi comme convenu. Je file faire les courses et je mange. Attends-moi au respawn dans une heure, d’accord ? On continuera ensemble ! »
J’élevais la dague au-dessus de la poitrine de la naïade et l’enfonçais profondément entre ses côtes. Même si l’attaque n’était pas ratée, avec 8 PV de dégâts, la jauge de santé de Trong n’avait chuté que d’un quart de points. L’enflure ! Ses points de santé étaient une fois et demie plus élevés que ceux de mon Gobelin aux grandes zoreilles ! Il me fallait le frapper, sans relâche. Au bout du quatrième coup, la jauge de santé de Trong clignotait en zone critique... Je m’interrompis, demandant à l’homme-poisson s’il fallait l’achever ou pas. Aucune réponse. Le joueur avait quitté son écran. C’est donc moi qui décidais !
J’avais lu ça sur les forums. J’étais tombé sur des articles qui conseillaient, pour les professions assassin ou voleur, de prendre la compétence Voile qui permettait de supprimer ou de modifier des journaux et ainsi dissimuler ses actes criminels à la vue des victimes, de réduire la durée du flag Criminel et, avec le temps, de l’effacer. Pile ce qu’il me fallait ! Je tentais de modifier le dernier message au sujet du coup de couteau.

Voulez-vous prendre Voile (I A) comme compétence primaire ?

Non, ça ne valait pas le coup de prendre Voile comme compétence primaire. Je ne voyais pas de raison à ce que mon innocent Gobelin herboriste révèle son côté sombre. Mais comme compétence secondaire, la capacité était utile !

Vous avez pris Voile comme compétence secondaire
Niveau de compétence : 1
Durée de l’effet : 1 minute, utilise 5 PE

Je cliquais sur l’icône Voile. À partir de là, je disposais d’une minute au total pour agir en secret :

Dégâts infligés : 6 (Morsure vampirique)
Points de vie restaurés : +3 PV
Gain d’expérience : 80 XP

Niveau deux !

Réussite débloquée : Goûteur (2/1000)

Réussite débloquée : Assassin de joueur (1)

Capacité de peuple débloquée : Vision nocturne (dure 12 heures, coûte 15 PE)
Capacité de peuple améliorée : Le goût du sang (octroie +1 % à tous les dégâts infligés par créature unique tuée avec Morsure vampirique. Bonus actuel : 2 %)

Attention ! Votre personnage reçoit le flag Criminel ! Au cours des huit prochaines heures, vous serez officiellement une cible à abattre !

Le cadavre de Trong le plongeur se mit à pâlir, jusqu’à devenir translucide. Non, je n’avais pas agi sans réfléchir. Cette fois, j’avais élaboré une vraie stratégie. J’avais trouvé une cible pour faire évoluer ma capacité fort avantageuse, Le goût du sang, et j’en profitais. Les naïades étaient un peuple rarissime, après tout. N’était-ce pas l’occasion ou jamais d’en ajouter une à ma liste d’espèces uniques mordues ? Mais je n’étais pas le seul à avoir accès aux logs du jeu. Comment Trong le plongeur réagirait-il en découvrant le récap de sa mort, révélant qu’un vampire l’avait tué ? Je devais faire en sorte de préserver le secret.
Qu’allais-je faire avec le log ? Je parvins à ouvrir le message que Trong le plongeur verrait dans cinquante secondes pour le modifier :

Dégâts subis : 6 (Morsure vampirique par le joueur Amra)
Vous êtes mort

Je ne le supprimais pas intégralement, même si cette possibilité m’était offerte. Je le modifiais plutôt en substituant « Morsure vampirique » par « Coup de couteau rouillé ». Beaucoup mieux !

Compétence Voile améliorée au niveau 2 !

Pas mal, pas mal du tout ! Je reprenais ma vie en main ! Il ne me restait qu’à affecter les points de stat obtenus grâce au level-up, et vivre de nouvelles aventures ! D’ailleurs... étrangement, deux points sur cinq avaient été automatiquement dépensés. Ma force avait atteint trois, et ma constitution quatre. Étrange...
Épluchant les guides, je réalisais que c’était une spécificité du peuple vampire : qu’on le veuille ou non, la force et la constitution évoluaient à chaque niveau. Il me fallait l’accepter sans broncher. On ne pouvait rien y faire. Il ne me restait plus que trois points de stat.
Je décidais d’en placer deux directement dans le charisme. Je n’avais pas envie d’être victime d’un délit de sale gueule à chaque rencontre ! Et mon dernier point de stat, après mûre réflexion, je l’ai affecté à l’intelligence. Il était grand temps de surpasser le QI d’un tabouret !

* * *

Le dernier rat ne me posa aucune difficulté, succombant au bout de deux coups de poignard — une preuve concrète que mon personnage avait gagné en force. Après avoir ramassé un morceau de viande de rat, j’avançais jusqu’à ce qui semblait être le fond de cette cale, là où une cage d’escalier menait au pont supérieur. La première marche franchie, la carte se mit à jour pour afficher le pont principal, celui où prenait place les rameurs.
Ce niveau-là empestait. Ça sentait le moisi, les cadavres en putréfaction et le sang caillé, un bouquet de senteurs qui manqua de me faire chanceler. Mon Gobelin dut se couvrir le nez avec sa main gauche infirme. Ok, je vois le genre. Si Boundless Realm était salué pour son hyperréalisme, tous ces détails gores étaient-ils nécessaires ? Et quand on y pense, comment les créateurs avaient-ils procédé pour reproduire la puanteur de ce lieu maudit ? Même la légère brise ne pouvait dissiper la pestilence qui s’infiltrait à travers le pont.
Recouvrant un peu mes esprits, j’observais les environs. Tout semblait indiquer que ce lieu avait été le théâtre d’un récent massacre : sang séché par terre, bancs des rameurs brisés et pourfendus, morceaux de chaîne, et guenilles sales. Il n’y avait aucun cadavre. Ils avaient déjà disparu du monde. Puis, sur la carte, derrière les marqueurs d’une poignée de rats éloignés, un triangle jaune. Un joueur ?! Je m’avançais discrètement pour le lorgner, ou plus exactement, la lorgner :

Valerianna Prestepas
Nymphe sylvestre
Dompteuse niveau 2

Ma sœur ! Je l’avais reconnue d’entrée de jeu. Valeria employait toujours le même pseudo pour son personnage principal, dans tous les jeux. Je restais toutefois à bonne distance. Ma sœur et moi avions décidé d’un commun accord de garder notre lien secret et de prétendre que nos personnages venaient de se rencontrer. Alors j’avançais en rampant, contemplant ma jauge de Furtivité en train de se remplir.
Pendant ce temps, la gracieuse nymphe à la longue chevelure bleue-verte était affairée à exterminer du rat. Ses méthodes étaient tout à fait singulières : se tenant à distance de la vermine, elle en dominait un avec un sort de commandement pour qu’il se retourne contre ses congénères. Je lus la description des compétences primaires de Valerianna :

Domptage d’animaux niveau 2
Magie de l’eau niveau 1

Soudain, la nymphe se figea et tourna brusquement les talons.
« Qui es-tu ? » s’enquit-elle d’un air plus curieux, voire menaçant, qu’étonné.
J’avais trahi ma présence d’une façon ou d’une autre, et j’étais découvert. Rester planqué n’aurait eu aucun sens, alors je fis un pas en avant.
« T’es un criminel ! Dégage ! » La nymphe effrayée joignit ses paumes et les plaça devant elle. En les séparant, une petite flamme vacillante apparut en leurs creux.
« Pas vouloir de mal à toi. » Je m’empressais de la rassurer, maudissant en mon for intérieur le parler médiocre de mon personnage. « Début partie pour moi. Chaîne retirer de main. Puis autre joueur poisson demander aide. Moi lui tuer. Et lui ressusciter sans chaîne. Seul moyen, dit-il. Lui pas savoir retirer chaîne. »
La nymphe, ou plutôt la très svelte jeune femme en courte cape verte, ne put contenir un sourire.
« T’es rigolo, gobelin. Mais tu n’es visiblement pas futé. Tu es en train de me dire qu’à vous deux, vous n’aviez pas assez de force, d’agilité, d’intelligence ou de perception pour atteindre sept ? Vous auriez pu coopérer ! »
J’étais pétrifié de surprise et de honte. L’idée de faire équipe pour tirer sur la chaîne de Trong-le-plongeur fixée au mur ne nous avait pas traversé l’esprit. Le crétinisme de mon Gobelin n’avait tout de même pas déteint sur moi, si ? C’était pourtant si évident ! Valerianna réfléchit quelques secondes puis, une pointe d’inquiétude dans la voix, dit :
« Je crois avoir compris ce qui s’est passé entre vous. Tu sembles décrire un escroc JcJ typique. Tu as tué un joueur à sa demande, et te voilà Criminel durant une heure. Il savait que ce serait facile de te tuer, mais il ne voulait pas être tagué Criminel pour si peu. Tu ne perdrais pas grand-chose en mourant, et lui n’obtiendrait qu’une centaine de points d’expérience. C’est pour cela qu’il t’a laissé une chance d’améliorer ton niveau sur des rats et des quêtes d’entraînement, de leveler un peu, pour après te tuer après. Je parie qu’il t’a demandé de l’attendre, pour faire équipe par la suite. J’ai tort ? »
J’approuvais la théorie de ma sœur d’un hochement de tête.
« Tu vois, ce personnage doit être un spécialiste du JcJ. Il a sans doute une tendance pour la stat de combat. La force par exemple, et il se prépare à utiliser une arme de mêlée. Je parie aussi qu’il a une constitution de haut niveau, ce qui lui octroie de nombreux points de vie. Vu que tu es niveau trois, il gagnera trois-cents points d’expérience en te tuant, et non cent. Ce qui est loin d’être négligeable en début de partie, et plus que suffisant pour qu’il accède au niveau quatre. D’ailleurs, certains peuples et classes pexent en tuant des joueurs ou grâce à des bonus et quêtes spéciales. Clairement, ton acolyte va te tuer. Comme ça, une fois dans le monde principal, il aura un bon niveau sans que sa réputation en ait souffert.
Valeria venait sans doute de retirer son casque de réalité virtuelle, d’ouvrir le forum de Boundless Realm à l’écran pour le consulter de là. En gros, le plan de Trong le plongeur consistant à le tuer n’était qu’un piège. Il laissait sa proie faire ses premières armes pour la rendre plus savoureuse. Il comptait sûrement me tuer dès son retour.
Bon… voilà voilà, je me faisais faire la leçon par ma sœur de quatorze ans. Un bon début s’il en est ! C’est officiel, je suis un noob. Mon égo venait de se faire torpiller et c’est pas un Sparadrap qui allait suffire.
« Sans indiscrétion, de quel peuple fait-il partie ? » demanda la nymphe, envoyant un autre rat sur la horde de vermines.
« Naïade, plongeur, » répondis-je, et ma sœur se pétrifia d’admiration.
Alors qu’elle restait figée, le rat sous ses ordres continuait d’en découdre avec ses anciens congénères. Je fus surpris de voir le corps de la nymphe statufiée chatoyer d’une multitude de couleurs. Ce devait être une amélioration de compétence. Je consultais ses stats visibles. Exact ! La compétence Domptage d’animaux de Valeria était dorénavant niveau 3. Entretemps, ma sœur était revenue dans le jeu.
« Pour info, les naïades plongeurs sont une variante des guerriers humains ou des nains berserkers. Ils reçoivent dix points de vie bonus pour chaque point de constitution, le double de points d’endurance en effectuant différentes attaques combo, ainsi qu’un bonus supplémentaire en force. »
« Je m’enfuir ? » demandais-je, mais la nymphe secoua la tête et me demanda dans combien de temps la naïade allait respawner.
Je consultais le temps qui s’affichait, et lui répondit qu’il lui restait quarante minutes.
« Ne t’enfuis pas, gobelin. S’il t’attaque vraiment, je t’aiderai. Je n’aime pas les PK et les escrocs. Mais je ne m’impliquerais que s’il t’attaque en premier. Pour l’heure, je vais accroître ma compétence en magie de l’eau jusqu’au niveau deux, puis mon intelligence augmentera grâce à mes bonus de compétence primaire. Cela me donnera dix-sept points.»
Sa réponse ne percuta pas immédiatement. Valerianna était déjà niveau deux, et avait déjà dix-sept en intelligence. Mais comment ?! Pour ma part, aucune de mes stats n’était supérieure à quatre, que ce soit mon agilité, de mon intelligence ou ma constitution.
La nymphe expliqua sur un ton enthousiaste :
« Mon peuple a un bonus en charisme et en intelligence, et j’ai perfectionné l’intelligence de mon personnage par-dessus tout. Mes deux compétences primaires prédéfinies améliorent également l’intelligence. J’ai simplement ôté les menottes de mes poignets, car j’avais directement compris le fonctionnement du système de verrouillage. »
Après ses mots, la nymphe appela un autre rat à ses ordres, et je remarquais que l’animal avait légèrement grossi, faisant monter son niveau en affrontant ses propres congénères. Suite à cela, Valerianna, enjoignant à son familier de s’asseoir et d’attendre les ordres, décocha une flèche de glace bleue sur un rat hostile éloigné, à peine visible, le tuant sur le coup. Elle remporta le même succès avec deux rats qui passaient par là. Encore une fois, la nymphe se mit à scintiller de plein de couleurs. Sa compétence en magie de l’eau était dorénavant niveau deux.
« Cool ! Encore une cinquantaine de points d’expérience, et je serai niveau trois ! » s’esclaffa la nymphe réjouie. « Amra, j’ai besoin de faire une petite pause pour restaurer ma mana. Ensuite, je pourrai tirer jusqu’à neuf flèches de glace, chacune infligeant environ quarante dégâts. Quel que soit le niveau de constitution de ton ami Naïade, il n’y survivra pas. Mais il est important de ne pas le laisser s’approcher. Je n’ai que onze PV, il pourrait me tuer d’un simple crachat. Au fait, pourquoi n’en profites-tu pas pour faire du levelling ? Il reste encore quelques rats. Charge-t ’en. »
J’acquiesçais docilement, et m’avançais. À vrai dire, mes pensées étaient bien loin des rats alors que je m’exécutais. J’étais obnubilé par l’attaque imminente de Trong le plongeur. Valerianna avait promis d’intervenir si la naïade attaquait. Malgré tout, l’homme-poisson m’infligera un ou deux coups auxquels il me faudra survivre. Et si le personnage était vraiment un spécialiste JcJ ou même un futur PK professionnel, bourré de modificateurs de dégâts, alors... Combien de dégâts pourrait-il infliger en un coup ? Sûrement pas moins que la nymphe et sa magie, surtout que ma sœur parlait de quarante points de vie par flèche de glace. Si la référence était quarante PV, comment survivre à une telle attaque avec vingt-sept malheureux PV ?! Pouvais-je envisager l’esquive ? Ce pourrait être ma porte de sortie.
Quand le rat niveau 1 le plus proche se rua sur moi, je bondis en arrière et sur le côté au lieu de le frapper.

Voulez-vous prendre Esquive (A P) comme compétence primaire ?

Cette compétence améliorait l’agilité et la perception, mes points forts ! Pile-poil ce qu’il me fallait ! J’acceptais sur-le-champ.

Vous avez pris Esquive comme compétence primaire
Niveau de compétence : 1
Compétences primaires choisies : 4 sur 4
Vous pourrez choisir une cinquième compétence primaire au niveau 10.

Ayant déjà tué le rat (cette saloperie avait réussi à me mordre une fois, mais ça ne voulait rien dire. La régénération guérirait toutes les blessures, après tout), je remarquais que ma compétence Esquive avait monté mon agilité au niveau cinq et légèrement accru ma perception.
De plus, des quatre compétences primaires, seule l’Esquive avait été activée. Les autres étaient grisées, inactives, et n’avaient visiblement aucun impact sur mes stats. Était-ce parce que je ne les avais toujours pas utilisées ? Cela restait à démontrer.
Je m’emparais d’une fiole vide dans mon inventaire puis la remplis du sang du cadavre.

Sang de rat (ingrédient alchimique)

La compétence Alchimie se mit en surbrillance. Mon intelligence et mon agilité augmentèrent aussitôt, jute un peu. Voilà comment ça fonctionnait ! Pour activer une compétence primaire et faire en sorte qu’elle augmente les stats, il fallait l’utiliser au moins une fois ! Qu’y avait-il d’autre au statut « inactif ? » L’Herboristerie et le Marchandage. Il me faudrait patienter pour utiliser l’Herboristerie. Nous étions à bord d’une galère. Impossible de trouver des plantes sur un bateau. En revanche, pour le Marchandage, c’était enfantin. Je retrouvais ma sœur pour marchander la fiole remplie de sang de rat.
Valerianna se tortilla d’écœurement et, bien sûr, déclina la proposition. Mais nul besoin de conclure cette vente. Après avoir constaté avec satisfaction que le Marchandage avait déjà été activé, augmentant mon charisme d’un point entier et rehaussant faiblement mon intelligence, je déversais le sang au sol comme je n’avais pas de bouchon.
Je passais dix minutes à esquiver la vermine subsistante afin de faire grimper au plus vite ma compétence Esquive jusqu’au niveau trois. Criblé de morsures et fort satisfait de mes performances, je rejoignais ma sœur.
« Hé l’andouille, t’as encore du chemin avant d’être niveau trois ? » questionna la nymphe d’un air las, assise sur le banc du rameur, tout en admirant ses ongles manucurés.
« Trois cent quarante expérience. Veut cinq cents, » rapportais-je.
Ma sœur se renfrogna, l’air contrarié.
« Augmente ton intelligence à cinq, au moins. J’ai dû mal à te comprendre. On verra plus tard. Pour l’instant, écoute bien, grandes esgourdes. Il nous faut rejoindre le pont supérieur de la galère. J’ai trouvé un descriptif des lieux dans les guides. La mer se déchaîne là-haut. Les vagues risquent de s’engouffrer dans les brèches du bateau. Si ton agilité est trop faible, tu seras balayé par-dessus bord, tu perdras de l’expérience, et il te faudra attendre une heure au lieu de respawn. Sauf si tu sais nager, Amra ? »
« Pas savoir. Agilité suffit. »
« Vraiment ? « Bon, très bien. J’ai un sort de respiration aquatique, donc je vais plonger tout en bas. Ton ami Naïade est une créature marine, donc aucune chance qu’il se noie. Mais toi, il te faut abaisser le canot avec un bossoir et affronter le vent et les vagues pour atteindre le rivage en ramant. C’est une quête secondaire avec cent points d’expérience à la clé. Alors, quand tu atteindras le rivage, cette quête sera validée au même titre que la mission d’entraînement principal, avec encore cent points d’expérience gagnés. Donc, sitôt le pied posé sur la côte, tu seras niveau trois. Mais une fois sur place, ne tire pas au flanc. Empresse-toi plutôt de courir le plus vite possible sur la côte, ou t’exercer au combat. Ton ami va sûrement t’attaquer, donc reste sur tes gardes. T’as compris ? Allez, on monte. Tu dois abaisser le canot sans mon aide, pour pexer un maximum. Sinon tu n’atteindras pas le niveau trois, et tu ne seras pas de taille à affronter la naïade. »

* * *

Ma sœur était rusée comme un renard. Une fois sur le pont supérieur, j’ai pu éviter de me faire directement balayer par les vagues grâce à sa mise en garde. Je m’emparais d’une corde tendue dès que je me déplaçais pour m’aider à rester debout sur le bateau, lorsqu’une déferlante me projeta de l’autre côté du pont. La galère orque heurta la falaise et se coinça entre les rochers. D’immenses vagues roulaient par-dessus bord, fauchant au passage toutes sortes de détritus, barils, morceaux de rames et matériaux divers.
Quant au canot, miraculeusement intact dans ce chaos, je le repérais sur la proue de l’épave. Pour y accéder, il fallait courir sur le pont glissant et incliné, baigné par l’écume des lames qui se brisaient sans relâche.
« Rendez-vous sur le rivage ! » Ma sœur était parvenue à crier avant qu’une vague ne l’aspire jusqu’aux tréfonds.
Le rat de niveau 2 qui avait été sous les ordres de ma sœur passa devant moi à la nage. Le lien étant rompu avec sa maîtresse, il était maintenant hostile envers moi. Mais le rat ne s’intéressait pas à moi. Il agitait ses pattes, désespéré, s’efforçant de lutter contre les éléments déchaînés. Dès le reflux de la vague, je m’élançais par-dessus le pont incliné en direction du canot.

Contrôle d’agilité réussi
Gain d’expérience : 8 XP

Je me jetais droit devant avant que le prochain rouleau ne déferle sur l’épave déchiquetée. Je parvins juste à franchir le vide puis à m’agripper au flanc du canot encore protégé par quelques toiles goudronnées.

Mission reçue : Utiliser le canot
Classe de mission : Facultative, entraînement
Récompense : 80 XP, petit sac

Le canot était fixé à un fouillis de cordes aboutissant à un bossoir installé sur le flanc du bateau. Il fallait actionner la manivelle afin de lancer la fragile chaloupe. Alors que je faisais tourner le mécanisme, j’oubliais totalement que j’étais dans un jeu. Mes sensations étaient extrêmement réalistes. La tempête, le vent, le crissement des cordes ultra-tendues, les vagues écumantes, le vent froid et l’odeur des algues s’unissaient en un tout très fidèle à la réalité. Ma main gauche blessée me brûlait jusqu’à l’os dans la mer salée. De toutes mes forces, je tentais de faire tourner le cabestan avec ma main valide, et enfin, le bateau fut mis à l’eau.
« Tiens donc, te voilà, Gobelin ! » La voix satisfaite de Trong le plongeur retentit derrière moi.
Je me retournais. La naïade, arborant un large sourire, s’assit sur la paroi latérale de la galère.
« Le temps est juste idéal pour moi ! J’adore les mers houleuses. Allez, prends le canot, moi je vais nager sous l’eau. Rendez-vous sur terre. »
À ces mots, l’homme-poisson sauta agilement par-dessus bord. La naïade tenait un trident entre ses mains, mais rien n’indiquait sa provenance. Tout à coup, voilà qu’il détenait une arme. Mauvaise nouvelle !
Je relâchais la corde et m’accrochais à la rame. Zut ! Impossible de ramer de la main gauche, je décrochais la rame de son anneau et la saisit à deux mains. C’était plus facile ainsi. Je perdais progressivement des points d’endurance en pagayant, mais je ne m’inquiétais pas trop. Il m’en restait plein en réserve. Contournant les roches déchiquetées émergeant de l’eau, je naviguais jusqu’au lagon. Au-delà des récifs tenant place de brise-lames naturels, la mer retrouvait son calme. Quelques minutes plus tard, je rejoignais une étendue sablonneuse qui se rétrécissait en une fine bande qui s’avançait dans l’océan. Ma sœur, visible au loin, m’attendait déjà sur la côte. J’avais à peine posé le pied sur le sable mouillé que mon corps s’illumina :

Mission accomplie : Utiliser le canot
Gain d’expérience : 80 XP

Mission accomplie : S’enfuir de la galère des marchands d’esclaves
Gain d’expérience : 80 XP

Niveau trois !

Capacité de peuple débloquée : Apathie des morts-vivants (dure 3 heures, coûte 20 PE)

Alors, où était le sac qu’on m’avait promis ? Regardant sous le banc de canotage, je trouvais un sac de toile avec une bandoulière.

Petit sac : slots d’inventaire +10

Le temps que Trong atteigne le rivage, j’affectais les nouveaux points de stats. La force et la constitution grimpaient par défaut. Des trois points restants, j’en plaçais un autre dans la constitution, et deux dans l’agilité. Je me retrouvais avec 39 points de vie.
Sitôt les stats distribuées, Trong émergea des eaux salées sur la bande sablonneuse et se fraya un chemin jusqu’à la côte. Son corps émettait aussi un halo coloré. La naïade était également passée niveau trois. L’homme-poisson décocha un sourire malicieux, arborant plusieurs rangées de dents acérées comme des aiguilles, puis déploya subitement ses nageoires dorsales rouges et brillantes et brailla, estomaqué par la présence de l’autre joueur non loin de moi.
« Hé ! C’est mon trophée, » cria Trong, pointant son trident dans ma direction. « Je le cornaque depuis le début de la partie ! »
La nymphe laissa la perfide naïade sans réponse mais, entre ses mains, la flamme vive et bleue d’un sort en cours apparut.
« Entendu, on partage le gâteau, » suggéra Trong, et là, ma sœur attaqua.
La flèche de glace qui jaillit de ses mains dépassa la distance qui les séparait, et retomba en une grêle de fragments sur les écailles de la naïade, provoquant une baisse rapide de ses points de vie. Malédiction ! Ce sort à quarante points de dégâts n’avait réduit les points de vie que d’un tiers. Combien de points de vie pouvait-il avoir ?
« Ça t’en bouche un coin, nymphe ? » ria l’homme-poisson. « Je suis résistant par essence à la magie de l’eau ! »
À ces mots, Trong le plongeur se saisit de son trident comme s’il s’apprêtait à embrocher un saumon et se jeta sur ma sœur pour faire échouer le prochain sort. Et moi, sans trop y réfléchir, je fondis dans sa direction. La naïade était à mi-chemin lorsqu’un crabe de niveau 1 émergea des eaux en rampant sur le sable et se mit en travers de son chemin.
La naïade, freinée dans son élan, détruisit l’obstacle inopiné d’un coup de trident. Mais cette seconde de délai me suffit pour le rattraper et le poignarder dans le dos.

Dégâts infligés : 9 (11 avec coup Couteau de cuisine rouillé — armure 2)

La jauge de vie de Trong le plongeur baissa, mais rien d’extraordinaire : à peine dix pour cent. Pfff, j’aurais mieux fait de prendre la compétence dague. J’aurais pu infliger un coup critique en le poignardant dans le dos. Là, sans doute plus étonné par mon audace que par les dégâts que je lui avais fait subir, Trong se tourna vers moi.
« Alors comme ça, Amra, tu te mets à attaquer dans le dos ! Tu ne peux plus t’enfuir nulle part ! »
Une autre flèche de glace s’envola jusqu’au dos de l’homme-poisson, faisant dégringoler les points de vie à quarante pour cent. Sa jauge de vie passa du vert au jaune, et Trong le plongeur fit un rictus de douleur :
« Ce n’est rien, je survivrai à une autre attaque de glace, et puis je raflerai deux jolis trophées, toi et la nymphe ! Soixante points d’expérience qui me suffiront à passer le niveau cinq ! »
À ces mots, la naïade bondit brusquement en avant et me poignarda le thorax de son trident. J’essayais d’esquiver l’attaque, mais en vain. L’enflure ! La douleur était infernale !!!

Dégâts subis : 34 (coup de Trident du joueur Trong le Plongeur)
Niveau de santé : 5/39

La douleur était telle que j’avais perdu l’occasion de riposter. La naïade bondit pour se mettre hors d’atteinte, de sorte qu’il m’était impossible de le poignarder. Mais heureusement, ma sœur n’hésita pas un instant à envoyer une autre stalactite enchantée dans le dos de mon attaquant. La vie de Trong le plongeur clignotait en rouge, mais l’homme-poisson esquissa un sourire inquiétant :
« Ha ! J’ai survécu ! Ah, tu vas mourir et je vais récupérer tous mes points de vie dès que j’aurai gagné un niveau ! » Sur ces mots, Trong sauta dans ma direction et tenta de me transpercer de son trident.
D’un salto arrière, j’esquivais avec brio les pointes acérées. Cela eut pour effet de faire dégringoler mes points d’endurance mais il était déséquilibré par son mouvement. Puisqu’il était très proche de moi et de taille égale, je portais un coup brusque à sa gorge finement écaillée.

Dégâts infligés : 16 (18 avec coup de Couteau de cuisine rouillé — armure 2)

Gain d’expérience : 120 XP

Compétence Esquive améliorée au niveau 4 !

Voulez-vous prendre Acrobatie (A F) comme compétence secondaire ?

C’était donc ça ! En tentant d’esquiver la mort certaine qui planait au-dessus de ma poitrine, j’avais non seulement utilisé l’Esquive, mais aussi l’Acrobatie ! Que dire ? C’était une compétence utile à ma survie. Il me la fallait. Plus loin, la nymphe s’éclaira comme un projecteur, car elle passait niveau quatre.
Après ces détails techniques, j’observais les alentours. Le corps de Trong le plongeur gisait dans les bas-fonds, émettant une pâle lueur. Je me penchais au-dessus de lui pour ramasser le trident, mais mes doigts traversèrent directement l’objet. Sans doute parce que les lois du jeu ne considéraient pas que l’arme avait été « droppée », donc elle restait dans son inventaire. Dommage. Penché au-dessus de mon ennemi vaincu, j’essayais de le regarder. Je n’avais pas eu à fouiller son cadavre. La fenêtre des trophées s’ouvrit. Mon butin se constituait de trois pièces d’argent, deux fioles vides et une avec un bouchon, remplie d’un liquide bleu pâle.

Niveau d’intelligence insuffisant pour identifier l’objet

Bien, je verrai plus tard ou je montrerai cela à ma sœur. J’allais à la rencontre de Valerianna. La Nymphe sylvestre était en rogne :
« Tous mes familiers meurent trop vite, les rats comme les crabes. La reine des dompteuses. Je ne suis pas fichue de garder le contrôle de mes bêtes ! En plus, j’ai le flag rouge du criminel au-dessus de la tête. Comme j’ai attaqué la naïade par anticipation, j’ai commis un crime. Maintenant, mon personnage ne pourra pas partir de l’univers durant huit heures, même si je quitte le jeu. D’ailleurs, tu as vu la carte ? »
Je secouais la tête, puis regardais la carte suivant le conseil de ma sœur. Il y avait juste un minuscule cercle éclairé, affichant la zone découverte : la côte, nous deux, et une immense masse noire représentant le territoire inconnu. J’augmentais l’échelle, mais aucun autre marqueur ne s’afficha sur la carte. Notre petit cercle rapetissait de plus en plus, jusqu’à ne former plus qu’un point. Les mots qui s’affichaient n’indiquaient rien d’autre que :

Coordonnées ??????????
Région ????????

« Tu vois, » la nymphe acquiesça devant la mine déconfite se dessinant sur mon visage verdâtre. « On est au milieu de nulle part, et le seul lieu de respawn se trouve sur l’épave de la galère, et je n’ai franchement pas envie d’y remettre les pieds. Hélas, le temps sera nuageux aujourd’hui et l’obscurité gagne du terrain. La nuit tombera avant qu’on ait le temps d’agir. Bientôt, le simple fait d’être là sera dangereux. Mieux vaut ne pas traîner sur le rivage. On doit partir d’ici. Avec un peu de chance, on pourrait trouver d’autres lieux de respawn. Ce serait déjà moins craignos de mourir. On ne serait plus obligés de s’évader une nouvelle fois de cette galère infecte. »
J’approuvais Valerianna et je me remis en route, la Nymphe sylvestre sur mes talons. Nous longeâmes la plage sablonneuse jusqu’à des buissons qui projetaient les premières ombres de la forêt, lorsqu’un message apparut sous nos yeux :

Félicitations, vous avez accompli la mission d’entraînement !
Bienvenue dans Boundless Realm !

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